PROFESSION LOGISTIQUE N°7 – PRINTEMPS 2025
Lancé par AI Cargo Foundation, le programme Appel d’aiR ambitionne de faciliter le report modal des entreprises vers le rail et le fluvial. Doté d’un budget de 7 millions d’euros, il propose une approche novatrice basée sur la mutualisation des flux et l’analyse fine des données de transport.
Antoine Mionnet, trésorier d’AI Cargo Foundation, nous dévoile les dernières avancées de ce programme qui compte déjà 170 entreprises adhérentes.
Le programme Appel d’aiR
Le programme Appel d’aiR connaît une croissance soutenue depuis son lancement. « Aujourd’hui, nous comptons environ 170 entreprises utilisatrices de la plateforme, issues de secteurs variés comme la grande distribution, l’industrie automobile ou encore le négoce », explique Antoine Mionnet. Cette diversité témoigne de l’intérêt croissant des acteurs économiques pour les solutions de transport alternatives à la route. Si les grands groupes ont été les premiers à rejoindre l’initiative, le programme cherche désormais à élargir son périmètre. « Nous souhaitons toucher davantage les PME et les grandes PME, qui sont généralement plus éloignées de ces modes de transport. Elles ont moins la connaissance et les moyens internes pour travailler ces sujets », précise Antoine Mionnet.
Une approche territoriale innovante
Nous décentralisons notre action en intervenant lors d’événements organisés par les CCI, les clubs logistiques, les clusters et les fédérations sectorielles. Les territoires ont cette connaissance fine de l’activité économique locale que nous n’avons pas forcément au niveau national, particulièrement concernant les PME. Notre AMI leur propose un outil et une démarche clé en main pour animer le sujet du report modal. Nous mettons à disposition un budget qui permet de financer de l’ingénierie sur le territoire. Un bureau d’études est mandaté par Appel d’aiR et la collectivité pour aller au contact des entreprises, les sensibiliser et collecter leurs données de flux.
La donnée au coeur du dispositif
Pour atteindre les PME et ETI, AI Cargo Foundation déploie une stratégie de proximité à travers les territoires. « Nous décentralisons notre action en intervenant lors d’événements organisés par les CCI, les clubs logistiques, les clusters et les fédérations sectorielles », explique Antoine Mionnet.
Cette stratégie territoriale se concrétise par le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt (AMI) destiné aux collectivités. « Les territoires ont cette connaissance fine de l’activité économique locale que nous n’avons pas forcément au niveau national, particulièrement concernant les PME. Notre AMI leur propose un outil et une démarche clé en main pour animer le sujet du report modal », souligne Antoine Mionnet. Cette approche marque une rupture avec les méthodes traditionnelles d’analyse du potentiel de report modal. « Historiquement, les territoires travaillaient depuis plusieurs années de manière assez traditionnelle, en réalisant des études basées sur des statistiques, notamment la base Sitram. Mais ces données ne sont plus mises à jour depuis des années et ne permettent qu’une vision macro, de département à département », explique le trésorier d’AI Cargo. Les limites de ces méthodes classiques sont nombreuses : « Aujourd’hui, statistique n’est plus mise à jour. Il n’y a plus forcément des bases de données suffisamment renseignées qui permettent de faire ce type d’analyse. Toutes les analyses qui dépendent des stats sont très peu qualitatives et permettent uniquement d’avoir des résultats qui donnent un potentiel vraiment très général sans connaissance détaillée des entreprises et flux concernés », détaille Antoine Mionnet.
L’AMI vise à dépasser ces limitations en proposant aux territoires un accompagnement complet. « Nous mettons à disposition un budget qui permet de financer de l’ingénierie sur le territoire. Un bureau d’études est mandaté par Appel d’aiR et la collectivité pour aller au contact des entreprises, les sensibiliser et collecter leurs données de flux », précise-t-il. Cette approche territoriale permet également de dépasser les limites des prospections commerciales classiques des opérateurs ferroviaires ou fluviaux. Antoine Mionnet ajoute : « Si on prend une démarche de prospection d’un opérateur ferroviaire sur un territoire donné, il n’aura la vision du potentiel que par la connaissance de son marché, qui dépend de ses moyens commerciaux. L’idée est de dépasser cette vision mono-opérateur et d’avoir une vision plus exhaustive au niveau du territoire ».
La plateforme joue ainsi un rôle de tiers de confiance, permettant d’agréger les données tout en garantissant leur confidentialité. Cette position unique permet d’identifier des opportunités de mutualisation qui resteraient invisibles autrement : « Par l’agrégation de ces flux, nous pouvons faire émerger des potentiels. Nous pouvons identifier que d’un point A à un point B, en lien avec ce territoire, il existe des flux suffisamment importants pour développer une nouvelle offre de transport ferroviaire ou fluviale ».
La donnée au cœur du dispositif
L’originalité d’Appel d’aiR réside dans son approche basée sur les données réelles des entreprises. « Nous partons directement des flux de transport que les entreprises nous communiquent, de leurs plans de transport et de leurs ordres de transport. Cette donnée est beaucoup plus qualitative », détaille Antoine Mionnet. Cette méthodologie présente un avantage majeur : « En analysant la donnée chargeur, nous avons accès à l’information brute : le lieu d’enlèvement depuis le site industriel jusqu’au client final. Contrairement aux données de commissionnaires ou transporteurs, qui intègrent déjà leurs propres logiques d’optimisation et schémas d’organisation logistique ».
Des résultats concrets émergents
Si la mise en place d’un report modal nécessite du temps et des adaptations logistiques significatives, le programme Appel d’aiR commence à porter ses fruits. Toutefois, la démarche garde – encore ! – un caractère progressif : « Le report modal ne se fait pas en un claquement de doigts comme on chargerait un camion. Il faut mettre en place des moyens et réadapter sa logistique ». Les premiers résultats tangibles concernent principalement le transport ferroviaire. « Nous avons aujourd’hui quatre cas emblématiques de réussite », détaille Antoine Mionnet. Premier exemple : Logilec, la filiale logistique du groupe E. Leclerc, avec l’appui du club Déméter, qui a réussi à transférer une partie de ses flux vers le rail. Cette conversion d’un acteur majeur de la grande distribution illustre la pertinence du programme pour les flux réguliers et volumineux.
Dans un tout autre secteur, Valrhona, producteur reconnu de chocolat haut de gamme, a également franchi le pas. Ce cas est particulièrement intéressant car il démontre que même pour des produits sensibles et à forte valeur ajoutée, le transport ferroviaire peut constituer une alternative viable au «tout routier». Le troisième exemple concerne IFCO, spécialiste des solutions d’emballage pour l’agroalimentaire. Cette entreprise a su adapter ses flux logistiques pour intégrer le transport ferroviaire, prouvant ainsi que le report modal peut s’adapter aux contraintes spécifiques du secteur de l’emballage.
Enfin, Valorplast, acteur de la valorisation des déchets, complète ce premier panel de réussites. Ce cas illustre particulièrement bien l’intérêt du rail pour les flux de matières recyclées, un secteur où les volumes sont importants et les marges souvent réduites. « Il est possible que d’autres succès existent sans que nous en ayons encore connaissance », nuance Antoine Mionnet. En effet, le programme fournit l’information et l’accompagnement initial, mais n’intervient pas directement dans l’organisation du transport. « À un moment donné, nous fournissons l’information, mais nous ne sommes pas organisateurs de transport, donc nous ne savons pas forcément ce qu’il se passe ensuite », précise-t-il.
Ces premiers succès démontrent la capacité du programme à accompagner des entreprises aux profils très différents dans leur transition vers le rail et le fluvial. De la grande distribution au luxe, en passant par l’industrie et le recyclage, ces exemples couvrent un large spectre d’activités et de contraintes logistiques. Pour accélérer cette dynamique, le programme mise sur une approche territoriale renforcée. « Grâce à l’AMI territoire, nous espérons avoir des régions et autres acteurs territoriaux qui vont contribuer à l’émergence de nouveaux potentiels de report modal », explique Antoine Mionnet.
Cette approche territorialisée devrait permettre d’identifier de nouvelles opportunités de mutualisation et donc de nouveaux cas de succès. Le transport fluvial, bien que faisant partie intégrante du programme, n’a pas encore donné lieu à des cas concrets de report modal. Cependant, l’analyse des flux via la plateforme pourrait faire émerger des opportunités dans ce domaine. Ces premiers résultats, obtenus après une phase initiale de déploiement et de sensibilisation, laissent présager une accélération du report modal dans les mois à venir, à mesure que le programme gagne en maturité et que de nouvelles entreprises rejoignent la démarche.
Une solution adaptable aux filières
Au-delà de son cadre général, Appel d’aiR démontre sa capacité à s’adapter aux besoins spécifiques des filières. L’exemple de la filière céréalière est particulièrement révélateur : « Nous avons développé Coesio, une déclinaison d’Appel d’aiR adaptée aux besoins des céréaliers. L’objectif est d’optimiser l’utilisation du ferroviaire pour les exports via le port de Rouen, premier port céréalier européen ». Cette adaptabilité pourrait bénéficier à d’autres secteurs : « La filière chimie, par exemple, qui a vu son offre de transport ferroviaire se dégrader avec l’arrêt du wagon isolé, pourrait utiliser notre plateforme pour consolider ses besoins et démontrer aux opérateurs l’existence d’un volume suffisant ».
Perspectives et développements
Le programme, qui court jusqu’à fin 2025, présente de bonnes perspectives de prorogation. « Nous avons encore du budget disponible et nous constatons une forte adhésion de la filière ». L’objectif initial de 250 entreprises labellisées semble à portée de main. Pour les territoires intéressés par l’AMI, le calendrier est le suivant : ouverture des candidatures le 10 février, clôture le 21 mars et annonce des lauréats le 2 avril. Les collectivités sélectionnées bénéficieront d’un accompagnement complet : « Le programme finance l’ingénierie territoriale, avec un bureau d’études mandaté pour la sensibilisation des entreprises et la collecte des données, ainsi que l’expertise nécessaire à l’analyse des potentiels de report modal », conclut Antoine Mionnet.
Avec un objectif de report modal de deux milliards de tonnes/km d’ici 2025, Appel d’aiR s’inscrit comme un acteur clé dans l’évolution vers une logistique plus écologique.
Article de PROFESSION LOGISTIQUE : https://professionlogistique.com/wp-content/uploads/2025/04/PDF_PL_N%C2%B007-compresse.pdf